Amer café

21 décembre 2012
Christian Rioux, Le Devoir

Sur le site Internet des cafés Starbuck, on peut lire une longue profession de foi écologiste. La multinationale s’y engage à économiser l’énergie et à encourager le recyclage. On y apprend que la société finance des programmes d’alphabétisation aux États-Unis et au Canada. Elle aide aussi à éduquer les petits Chinois et les pays du tiers-monde à avoir accès à l’eau potable. Bref, tout le portrait de l’entreprise modèle. Dans cette floraison de bonnes intentions, il y a cependant un grand absent. La société créée à Seattle en 1971 a peut-être inventé le café à saveur « éthique », mais nulle part elle ne s’engage à… payer ses impôts.

Un rapport de la Commission des finances publiques de la Chambre des communes britannique s’est récemment chargé de rappeler cet « oubli » malencontreux aux bonnes âmes de la multinationale. Depuis 1998, sur un chiffre d’affaires de 4,8 milliards de dollars, la filiale britannique de Starbuck n’a payé que 13 millions de dollars d’impôts. Selon son directeur financier, la pauvre n’aurait pratiquement jamais fait de profits! Les communiqués de la compagnie destinés aux actionnaires n’ont pourtant cessé de vanter le succès des 725 cafés Starbuck de la Grande-Bretagne. Alors qu’en 2008 la filiale britannique affichait une perte de 41 millions de dollars, la multinationale offrait une promotion à son directeur afin qu’il fasse bénéficier la maison mère américaine de son extraordinaire « savoir-faire ».

Ces jours-ci, les Britanniques découvrent avec stupeur qu’une habile architecture financière permet depuis des années à l’entreprise de ne pas payer d’impôts. Il lui suffit, par exemple, de déduire les droits d’utilisation de la marque qu’elle paie à une vague filiale des Pays-Bas (technique autrement appelée Dutch sandwich). Ou d’acheter au prix fort son café en Suisse, pays réputé comme chacun sait pour ses luxuriantes plantations. Avec pour résultat que les profits se retrouvent dans l’un ou l’autre des paradis fiscaux où la multinationale du café a pignon sur rue.

L’amorce d’un mouvement de boycottage a poussé Starbuck à offrir de verser « volontairement » au fisc britannique 32 millions de dollars dans les deux prochaines années. Cette générosité soudaine ne parvient pourtant pas à faire oublier que les mêmes subterfuges, pourtant connus de tous, profitent à un grand nombre de multinationales.

Les stars du numérique semblent tout particulièrement faire preuve d’une créativité sans borne en la matière. La France réclame en effet 252 millions de dollars en arriérés d’impôts à Amazon, soupçonnée de déclarer ses profits au Luxembourg. Le fisc français a aussi perquisitionné le siège parisien de Facebook, qui ferait la même chose via l’Irlande. L’agence Bloomberg a calculé que d’habiles transferts de fonds, notamment aux Bermudes, avaient récemment permis à Google de réduire ses impôts de 2 milliards de dollars. En comparaison, l’exil fiscal de Gérard Depardieu en Belgique est une broutille.

En 2010, alors qu’il présidait le G8, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas proclamé sur France 2 la fin des paradis fiscaux? De la poudre aux yeux, estiment aujourd’hui les experts. En France seulement, cette évasion concernerait près de 600 milliards d’euros et coûterait des milliards chaque année au fisc, selon le journaliste du quotidien La Croix Antoine Peillon (« Ces 600 milliards qui manquent à la France », Seuil).

Brigandage moderne

Malgré les hauts cris lancés de temps en temps, la plupart des États semblent avoir baissé les bras devant ce fléau. Seuls les États-Unis avaient mis le poing sur la table lors du scandale qui les opposa en 2009 à la banque suisse UBS.

Les pays les plus touchés par ce brigandage moderne sont évidemment ceux qui ont un impôt élevé et une protection sociale étendue. Les chantres du néolibéralisme s’en tirent à moindre coût et peuvent plus facilement se passer de frontières. Ce qui permet, par exemple, aux banques suisses et luxembourgeoises de vivre en parasites et de faire du maraudage auprès des grandes fortunes françaises.

L’abolition des frontières est une idée à la mode qu’on ose à peine critiquer par les temps qui courent. Aussi vertueuse soit-elle pour le commerce, cette idée depuis longtemps devenue un dogme ne peut que contribuer à la destruction de l’État et à l’effritement de la démocratie. En effet, il n’y a pas de démocratie sans un État capable de faire respecter ses lois partout sur son territoire. À moins que l’on dénie au peuple le droit de choisir lui-même son modèle social. Présenté comme la panacée universelle, l’État minimum n’est pourtant pas le seul garant de la croissance. L’exemple éloquent des pays du nord de l’Europe l’illustre amplement. Pour que ce choix demeure possible, il faut que les frontières soient respectées.

Une fois les États (et la démocratie) émasculés, les délinquants fiscaux auront beau jeu de mettre en scène leur altruisme en créant des œuvres de charité privées qui confondent allègrement générosité et publicité. À l’approche de Noël, la leçon est peut-être à retenir. La charité des entreprises sera toujours la bienvenue pour autant que celles-ci commencent par payer leurs impôts rubis sur l’ongle.

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Avec la permission de l’auteur.

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