Actionnariat de l’État et intérêts politiques

29 mai 2020
Dominique Lemoine

Pour justifier d’appuyer financièrement le Cirque du Soleil sans exiger des actions de l’entreprise en échange, contrairement à ce que ferait un dragon, Pierre Fitzgibbon affirme que l’État ne veut pas exploiter un cirque, comme ses prédécesseurs prétendaient que l’État ne peut pas exploiter une mine.

Belle acrobatie rhétorique, parce qu’avec toute son expérience en entreprise, le ministre de l’Économie sait qu’un actionnaire institutionnel n’exploite pas nécessairement une entreprise dont il détient des actions. Le conseil d’administration, la haute direction, les cadres et le personnel exploitent et gèrent une entreprise, tandis que l’actionnaire institutionnel en profite ou pas, et que son influence est la plupart du temps limitée au dialogue, à l’élection des administrateurs et à des votes aux assemblées.

Ce sont donc les artisans du Cirque du Soleil qui l’exploitent et le gèrent, peu importe le statut privé ou public de ses actionnaires institutionnels. Ainsi, le fonds d’investissement texan TPG Capital, la firme chinoise Fosun et la Caisse de dépôt et placement du Québec n’exploitent pas et ne gèrent pas le Cirque, ils en tirent ou non des rendements.

Puisqu’il faut le faire, rappelons la base. Selon l’Office québécois de la langue française, un actionnaire est une personne physique ou morale propriétaire d’une part du capital d’une société sous forme d’une ou de plusieurs actions. Point.

La créance est-elle plus forte que l’action?

Actuellement, le plan du gouvernement du Québec semble plutôt être de se retrouver parmi les premiers créanciers du Cirque, tandis que le Cirque, dont les activités sont suspendues, doit déjà 900 millions de dollars américains à divers créanciers. L’idée serait de peut-être pouvoir plus tard influencer la décision de l’ensemble des créanciers quant à une prise de participation minoritaire dans le Cirque par l’État du Québec, à un moment donné, plutôt que d’exiger immédiatement des actions en échange de l’aide financière offerte.

Selon Louis Hébert, professeur au département de gestion à HEC Montréal, un statut de premier créancier sur la liste des créanciers doit permettre à l’État du Québec d’être « beaucoup mieux placé pour savoir ce qui se passe et avoir une influence sur les décisions », tandis qu’avec un statut d’actionnaire minoritaire, à son avis, « les autres peuvent voter contre vous ».

Cela dit, des créanciers aussi peuvent être en désaccord, et bien qu’il n’implique pas nécessairement la gestion d’une entreprise, le chapeau d’actionnaire permet d’influencer avant qu’il ne soit trop tard des décisions qui sont prises en matière de gouverne responsable d’une entreprise détenue. Dans le cadre de dialogues avec les entreprises qui font partie de leur portefeuille de placements, de l’élection des administrateurs et de votes aux assemblées, les investisseurs institutionnels peuvent contribuer à positionner une entreprise de manière durable.

Même que des investisseurs institutionnels peuvent être assez puissants pour faire élire des conseils d’administration qui pensent comme eux, comme ce fût le cas dans le dossier Rona, selon la version de Robert Dutton. Un créancier peut-il en faire autant?

Par contre, selon Robert Dutton, le rôle d’un investisseur institutionnel, comme la Caisse de dépôt et placement du Québec, donc comme pourrait le devenir Québec au Cirque du Soleil, doit demeurer « le rendement et le développement économique », et non pas « essayer d’aller gérer » une entreprise, contrairement à ce que laisse entendre Pierre Fitzgibbon.

De qui Parizeau est-il le mentor?

Le premier ministre François Legault a déjà dit considérer l’ancien premier ministre et ministre des Finances Jacques Parizeau comme un mentor. Cependant, actuellement, ce sont des députés de l’opposition qui proposent que les citoyens du Québec deviennent collectivement actionnaires plutôt que simples créanciers du Cirque, de manière à pouvoir prendre davantage part aux décisions au sujet de son avenir.

Dans son livre La Souveraineté du Québec : hier, aujourd’hui et demain (2009), Jacques Parizeau a écrit « que les participations minoritaires permettent de comprendre ce qui se passe et parfois d’influencer les décisions ».

Dans une entrevue accordée en 2011, en plein « bar ouvert » libéral de contributions financières publiques et de cadeaux énergétiques, fiscaux et d’infrastructures accordés au secteur minier privé dans le cadre du Plan Nord, Jacques Parizeau proposait d’ailleurs « d’assujettir toute aide publique à un mécanisme de réciprocité obligeant les entreprises à céder à Québec une participation équivalente [à l’aide versée] de leur actionnariat ».

« La meilleure façon de procéder serait de mettre sur pied une société qui échangerait tout ce que le gouvernement ou ses sociétés d’État dépensent pour les entreprises contre des participations à l’actionnariat de ces entreprises, quelle que soit leur taille. Ce serait la meilleure façon de récupérer une partie de la valeur de la ressource. Il faut que les entreprises comprennent que, lorsqu’elles demandent quelque chose, elles vont se retrouver à augmenter la participation de l’État », soutenait Jacques Parizeau.

Lire aussi :

Prises de participations et protection de sièges sociaux ›››

Appuyer la « garde montante » certes, mais pas n’importe quand ni n’importe comment ›››

L’ancien PDG Robert Dutton livre sa version des faits ›››

Partenaires :